The Mamas and the Papas
En ce jour de rentrée scolaire où nos bébés retrouvent émerveillés la cour de récréation festive d’une salle de classe, les parents de ces chérubins deviennent les vedettes des micro-trottoirs tant journalistiques qu’audiovisuels qui constituent, comme on le sait, une source d’information d’une fiabilité inégalée.
Nos irréprochables chaînes d’information en continu, toujours à l’avant-garde du train de retard, commentent cette rentrée des parents en prenant garde à ne jamais prononcer d’autres termes pour désigner les heureux géniteurs du glorieux avenir de la Patrie que « Papa » ou « Maman ».
Il convient évidemment de rejeter les effroyables scories d’un monde réactionnaire honni en abandonnant les appellations de père ou de mère qui fleurent bon la télé noir et blanc et le serre-tête d’une bourgeoisie étroite. Parlons bébé puisque c’est ainsi désormais que l’on démontre son éveil bienveillant aux fulgurances du progrès et c’est fort de cette haute révélation que je me suis plié à l’exercice de l’interview télévisée à la mode bisounours.
Dussé-je transpirer des litres d’une noble sueur au lendemain du franchissement de ma sixième décennie en cette vallée de larmes, il ne me fallut évoquer mon père ou ma mère, devant mon journaliste avide de ces moments de vérité intime, qu’avec les termes choisis de « Mon papa, ma maman ». Lesquels susnommés ont fort complaisamment disparu de ce monde pour s’épargner la honte et le ridicule de me voir ainsi parler de leurs augustes personnes à de parfaits inconnus et qui aurait provoqué de leur part, au mieux un puissant éclat de rire d’incompréhension, au pire, une réprobation silencieuse devant tant d’efforts anéantis d’une éducation scrupuleuse. Mon jeune interlocuteur de journaliste sut me guider dans cette conversion en inondant son propos de Mamans et Papas au point que je n’aurais pas été plus surpris qu’il se saisisse de son doudou au passage de la pub.
« Et son papy l’a donc accompagné à l’école ? »
Ah, la question s’adressait donc à moi, supposé papy d’un chérubin dont je ne me croyais jusqu’alors que le grand-père. « Non, c’est sa tata qui était heureusement disponible ce matin.
— La tatie a donc également été mobilisée pour la rentrée ?
— Pas la tatie, la tata…
— Heu oui, la tata aussi…
— Oui, la femme du tonton, la sœur du papa, la fille du papy, chez moi, c’est la tata, pas la tatie. »
Confus de cet impair grossier qui pouvait lui valoir un stage de rééducation accélérée contre les propos offensants, mon journaliste mit fin à notre entretien et alors que je me levais souriant, il tint à s’excuser de sa maladresse et me convia à prendre un café de concert.
« Volontiers ! lui répondis-je. Mais avant je voudrais faire popo. »