Barrière de Corail
C’est au sud-ouest de la Bretagne, entre goélands narquois et méduses alanguies, qu’émerge par grand vent le petit archipel de l’émirat du Batar. Ce sympathique État temporaire est dirigé par notre ami l’émir du Batar et est connu pour ses deux principales richesses qui font l’immense fortune de ses ressortissants, le water-polo et l’esclavage des norvégiennes. Lointains descendants des conquérants mauresques jetés dans l’océan après la bataille de Poitiers, les Batars se sont tenus à l’écart des querelles picrocholines mahométanes pour adopter avec le temps une version maritime du livre saint qu’il appellent par déformation le Corail.
« C’est nous, m’écrit l’émir avec lequel j’entretiens une correspondance diplomatique fournie, qui détenons le seul et vrai Corail. Il fait deux pages, certes, mais quelles pages ! Et il n’y a rien à y ajouter tant ces brefs versets pélagiques sont puissants et attestés. »
Ce dimanche, le glorieux émir et sa suite triomphale étaient les hôtes officiels de la France à Fort Boyard ; j’ai donc reçu cette éminente délégation en ma qualité de Ministre du Dimanche à bord de mon canot pneumatique, en toute simplicité comme on le constate. Chaque année, cet émir au grand cœur organise sur nos côtes une vente de charité au profit des nécessiteux et autres ivrognes locaux où sont cédées aux enchères quelques vieilles esclaves norvégiennes inutiles. La population vendéenne en raffole, à des fins essentiellement décoratives, et les prix atteignent vite des sommets galactiques.
Entre deux tasses de thé traditionnel batar – à vrai dire, une assez repoussante infusion de goémon sans sucre – l’émir du Batar m’a fait la grâce de me confier ses projets immédiats pour approfondir les relations entre nos deux pays.
« Le Corail nous enseigne qu’il faut pécher le poisson à marée montante mais qu’il est interdit de l’écailler sur le buffet du salon. Cette audacieuse parabole prescrit donc de respecter la demeure de l’hôte sans se priver de la bonne galette et c’est pourquoi j’envisage, en accord avec nos surimis – il s’agit là des savants en Corail – de racheter non pas un club de water-polo, ni deux mais la fédération française de water-polo, oui, tout entière, avec les piscines, les joueurs et les ballons.
— Quelle faramineuse initiative, Ô Sublime Évergète, mais cette fédération patriotique est-elle seulement à vendre ?
— Tais-toi, sardine à l’huile ! Je paye en coquilles Saint-Jacques sonnantes et trébuchantes ! Il est temps aujourd’hui que la foi dans le Corail se répande au-delà du phare du Guilvinec et c’est dans les stades de water-polo que nous pourrons pleinement appliquer la Chariote !
— Comme vous y allez, Puissant Commandeur des Langoustines ! La France et son water-polo barbotent dans une laïcité certes aquaphile mais nonobstant ombrageuse et votre respectable Chariote demeure une terrible loi religieuse qui ne saurait être admise dans nos piscines.
— La Chariote est bien la loi traditionnelle du Corail de Batar mais nous sommes assez lucides pour comprendre comment la faire adopter dans les pataugeoires hexagonales et dans le pays de Voltaire. La Chariote deviendra un modeste et sympathique règlement sportif ! Qui parle de religion alors qu’il n’est question que de fixer la taille des maillots de bain et la couleur des bonnets selon les injonctions du Corail ? Me refuserez-vous un penalty au motif qu’il est prescrit par notre Chariote ? Oseriez-vous interdire la pratique du water-polo à de pitoyables et très effarouchées douces mamans en bonnet ? Je vois que tu fléchis déjà. »
Sa Majesté Chalutière voulut, en témoignage de son amitié, me faire le présent d’une Norvégienne usagée dont le lancinant parfum de hareng me conduisit à la diriger vers l’aquarium de La Rochelle et je me retirai avec déférence tout en m’interrogeant sur les accommodements que nous pourrions consentir à la bénignité des intentions natatoires de l’émir du Batar.
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