Il est minuit, docteur Schweitzer.

Il est minuit, docteur Schweitzer.

Les soldes sont à peine entrées dans la joyeuse farandole des dernières démarques qu’une nouvelle accablante vient frapper au cœur les élans généreux des tiroirs-caisses : l’Horloge de l’Apocalypse s’est calée en ce début d’année sur l’heure terrifiante de 23 heures 58 minutes et 20 secondes, nous laissant une misérable poignée de secondes avant la fin du monde pour couper l’eau, fermer le gaz, jeter le chat dans la poubelle et décarrer fissa vers Jupiter. Cette géniale invention, issue des cerveaux tempétueux de physiciens atomistes de Chicago, se règle chaque année pour déterminer les brefs instants qui nous séparent de la désintégration finale depuis 1947, date à laquelle elle sonnait déjà à 23 heures 53. Au gré des crises géo-politiques augmentées des menaces climatiques et des épidémies de gastro-entérites, cette horloge singulière avance ou recule de quelques minutes ou secondes dans un mouvement déconcertant qui conduirait le plus placide des horlogers suisses au suicide. Même s’il n’est pas interdit de penser que la SNCF s’inspire de cette horloge hésitante pour ordonner les horaires baroques de la circulation de ses trains, je ne conseillerais à personne de s’équiper d’une montre bloquée sur les dernières secondes de la journée et qui ne permettrait jamais, entre autres, de fêter dignement entre amis le passage à l’année nouvelle sans provoquer un cortège de cataclysmes, de tsunamis et d’extinctions de masse.

Cette annonce de l’Horloge de l’Apocalypse vient opportunément au secours de l’action gouvernementale pour rappeler aux syndicalistes moustachus et autres manifestants avinés la vanité d’un combat concernant leurs retraites quand il ne reste plus guère que cent secondes à vivre à l’humanité. À ce rythme, croyez-le bien, le calcul des pensions sera très vite fait, d’autant plus que tous les fonctionnaires attachés à ces algorithmes occultes seront morts dans d’atroces souffrances nucléaires. Certes on pourra me rétorquer finement que, si depuis 1947, cette foutue horloge n’a pas été capable d’avancer de sept minutes, il s’en faudra de beaucoup qu’elle n’atteigne minuit avant la fin du siècle. C’est sans compter sur les progrès législatifs qui vont ouvrir à notre société chancelante les plus radieux horizons de travail permanent.

S’inspirant de la marche erratique de l’Horloge de l’Apocalypse, le gouvernement entend se placer à l’unisson de cet exemple hautement scientifique en instituant la variabilité du temps de travail avant le départ à la retraite. Renonçant à repousser l’âge légal de la retraite au-delà de soixante ans et satisfaisant ainsi les revendications populacières, le gouvernement prévoit d’octroyer ou de retirer du temps de travail avant le jour tant espéré du passage à la retraite. À l’approche de sa soixantième année, le laborieux ouvrier couvert de sueur odorante se verra attribuer un compteur de travail avant sa cessation d’activité. Ce compteur, connecté à tous les indices économiques en ligne ainsi qu’à la carte Vitale de l’impétrant, ajoutera des jours ou des mois de travail selon les variations du PIB et de l’électro-cardiogramme du de cujus. Quelle joie nouvelle de découvrir que l’on vieillit ainsi moins vite que l’on ne s’y attendait en repoussant toujours plus loin le funeste moment où l’on devient tristement sexagénaire ! Car, si la retraite sanctionne avec justice une vie d’activité épuisante bien remplie, elle n’en demeure pas moins le lugubre signal d’une avilissante sénilité en marche redoutée par tous. Ah, comme ils seront fiers ces quinquagénaires vigoureux qui éloigneront de dix, quinze ou vingt ans le jour de souffler leurs soixante bougies ! Avoir cinquante-neuf ans pendant quinze ans, voilà qui signifiera au monde envieux l’extraordinaire vitalité de la race française ! Un jour viendra, cependant, car c’est l’humaine nature, où le compteur fera retentir le terrible anniversaire, celui où l’on pourra goûter les joies de la retraite quelques semaines avant de sombrer dans le statut honni de grabataire.

Cette disposition nouvelle, fondée comme on le voit sur les recherches scientifiques les plus pointues, est propre à gagner l’assentiment général avec enthousiasme car quoi de plus grisant, lorsqu’on se croit aux portes d’un troisième âge sexuellement amorphe, que de constater, grâce à son compteur, que l’on va pouvoir encore longtemps coincer les jeunes stagiaires dans les recoins du local à balais !

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