Le chapeau de Babeth.

Le chapeau de Babeth.

Quelle joie sans mélange de retrouver à l’occasion des festivités du débarquement allié en Normandie, cette chère et espiègle Élisabeth, Reine d’Angleterre et de France ! Certes, la rencontre eut lieu à Portsmouth, magnifique rade toujours copieusement arrosée d’une pluie battante laissant entrevoir une punition divine à ce point inextinguible que pas un mortel n’avait jamais connu Portsmouth autrement que détrempée par des ondées incessantes. Mais notre bonne souveraine n’a cure de cette malédiction météorologique, elle qui dispose de multiples chapeaux en toile ignifugée et imperméable résistante aux incendies et inondations.

L’un des secrets les mieux gardés de la Couronne britannique, de ceux qu’on ne révèle qu’en tremblant, à mi-voix, de nuit sur un parking désert, est qu’en vérité Élisabeth se rend régulièrement et incognito à Portsmouth afin d’arroser un à un ses plus remarquables chapeaux sous les spectaculaires averses de ce port marécageux. En effet, contrairement à ce que de sombres folliculaires prétendent de toute la hauteur de leur sottise, les ornements chapeliers de la Reine ne sont pas faits de plastique chinois : les fleurs et les fruits qui en font la magnificence sont de véritables fleurs et fruits tandis que les plumes aériennes sont directement extraites sans sommation du cul des volailles. Une véritable science horticole du chapeau à fleur s’est ainsi développée à Buckingham Palace, dans l’entresol à gauche en face de la chaudière, visant à cultiver à même les couvre-chefs toute sorte de végétaux festifs et colorés. La Reine est très assidue à ces travaux secrets dont on prétend que le Premier ministre lui-même est tenu à l’écart.

J’avais demandé à Sa Majesté, il y a quelques années, ce qui faisait la particularité de ses célébrissimes chapeaux.

« Aoh ! C’est ma mother, la queen Mary, qui m’a initiey à cette discipline ! Les fleurs doivent être plantey dans de la terre de Balmoral directly sur le chapeau. Elles poussent et sont tailley par mes deux Flowers Ladies ; je ne vais pas porter sur la tête une jungle de sauvage ! Mes sujets aiment mes chapeaux because ils sont naturels.

— N’est-ce pas un peu lourd tout de même, ce jardin sur la tête ?

— Yes, very ! But c’est quand même moins lourd que la couronne que je porte pour dormir ! Et cela résiste très bien au vent, vous avez remarquey combien mes chapeaux sont stables ?

— Fabuleusement ! Et vous enseignez votre art à la Duchesse de Cambridge ?

— Kate ? Aoh fuck ! Elle ne veut pas de fleurs sur ses chapeaux ! »

Ainsi, retrouvant ma chère Babeth ce 5 juin dernier sous d’heureuses hallebardes printanières, je lui glissai discrètement dans sa main gantée une graine rare de Chapifolia Britannensis, une merveilleuse plante javanaise qui produit des petites baies rouges très toxiques du plus bel effet décoratif.

« Aoh, dear, me murmura-t-elle émue en clignant de l’œil, je vous prie de venir me planter votre graine vous-même ! »

Je ne me dérobai pas à cet ordre royal et le soir même, de retour à Londres, je me faufilai dans Buckingham Palace par les souterrains obscurs et les portes moussues avec une bouteille de Champomy et ma précieuse petite graine.

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