La barbe jaune

La barbe jaune

« Non, Monsieur ! » ais-je dit à ce monsieur qui, revêtu d’un gilet jaune de stricte obédience et accompagné de quatre autres patibulaires de la même eau, était parvenu après mille ruses à s’introduire dans ma salle de bain où je pensais primitivement procéder au rasage minutieux de mon visage poupin, tout naïf que j’étais.

« Non, Monsieur, mille fois non ! Il n’est pas question une milli-seconde que j’exige du Président que le Ministère du Dimanche soit renommé Ministère du Rasage Gratis, non mais ! »

Ils paraissaient tout heureux d’avoir réussi à tromper la vigilance de mon garde du corps Alexandre B. en pénétrant dans ma villa du Vésinet par l’entrée des domestiques astucieusement déguisés en agents de maintenance. « Demain, on veut tout sans rien payer, on rase gratis ! Mais nous, c’est aujourd’hui qu’on veut tout tout de suite ! » Et ils m’interdisaient de poursuivre mon rasage ! « Si vous n’acceptez pas de transformer le Ministère du Dimanche en Ministère du Rasage Gratis, nous vous empêcherons de vous raser ! Définitivement ! C’est à prendre ou à laisser ! » Quelle violence !

Cela fait une petite semaine que ça dure et qu’un piquet de Gilets Jaunes extrémistes radicalisés m’interdit d’approcher d’une lame de rasoir. Mécontents des propositions salvatrices annoncées par le Président ce lundi, ces odieux terroristes qui furent pourtant, dans une autre vie, de sympathiques et passifs contribuables, ont choisi de compléter leur catalogue de revendications avec, notamment, l’abolition du réchauffement climatique et des taxes afférentes, le doublement du Smic d’est en ouest, l’indexation des retraites sur l’orbite de Jupiter, l’arrachage des ongles manucurés de Carlos Ghosn et le rasage gratis laïque et obligatoire porté par un nouveau ministère qui lui serait entièrement dédié en remplacement du Ministère du Dimanche.

Tout responsable politique équilibré conçoit l’inanité de ces revendications et, on ne va pas se mentir, de la plus absurde d’entre elles : la disparition du Ministère du Dimanche dont l’impérieuse nécessité s’est imposée dans une action gouvernementale qui se veut à la fois vigoureuse et dominicale. Mais lors du dernier conseil de ministres, alors que j’en étais expulsé par les appariteurs de l’Élysée considérant que je ne respectais pas les normes requises en matière d’hygiène pileuse, j’ai décidé d’agir.

Après avoir retrouvé les geôliers de mon rasoir cinq lames qui avaient tenu à allumer un brasero dans ma baignoire pour patienter au chaud, je tombais d’accord avec eux que le rasage gratis n’étais pas un exercice sans conséquence et qu’il valait mieux en expérimenter les effets avant d’envisager une généralisation. J’ai donc conçu avec mes nouveaux amis une stratégie proprement innovante qui consiste dans le rasage immédiat, intégral, définitif mais surtout gratis de tous les barbus du Gouvernement, à commencer par le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur et autres mini-ministres dotés d’un appendice pileux significatif, hommes ou femmes.

Ma proposition fut accueillie avec un enthousiasme débordant et l’on manifesta sa joie en vidant ma cave de Champomy. Je pus ainsi, il y a quelques heures, récupérer mon rasoir et procéder à l’élimination de cette barbe naissante que j’abhorre tandis qu’une haie de Gilets Jaunes chantaient la Marseillaise en aiguisant les Gillette.

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