Le centenaire de l’année prochaine

Le centenaire de l’année prochaine

Que mes détracteurs habituels ne m’en veuillent pas trop si l’on m’a abondamment vu et remarqué ce dimanche matin mais enfin que pouvais-je y faire : il a fallu que le centenaire pile de l’armistice du 11 novembre 1918 tombe poil un dimanche ! Si j’ai été un temps éclipsé par l’arrivée de notre ami Donald Trump, coiffé de son fringant et coutumier bonnet de trappeur en fourrure d’écureuil roux – cet esprit pionnier, quelle classe ! – ou par le masque d’argile négligemment oublié par une esthéticienne distraite sur la face de Madame Erdogan, j’ai pu illustrer la joyeuse et festive humeur républicaine auprès du prince de Liechtenstein et du capitaine-régent de Saint-Marin qui ne sont pas les derniers à goûter les facéties dominicales. Il m’a ainsi été donné l’occasion de filer un coup de coude dans les côtes d’un président africain que je ne nommerais pas et qui manquait de s’écrouler de sommeil sur la première ministre norvégienne sa voisine pendant le Boléro de Ravel.

La journée fut bien remplie, j’en sors à peine, jusqu’à ce Forum pour la Paix qui a si bien démarré quand la moitié des chefs d’État et de gouvernement ont complaisamment accepté de déposer leurs armes au vestiaire, belle image en vérité d’un monde en marche vers l’armistice universel auquel toutes les personnalités présentes, personne n’en doute, croient dur comme fer.

Il est vrai que, si la première guerre mondiale fut une sinistre affaire où les peuples se sont écrabouillés par millions, ces mêmes peuples ont été priés cent ans plus tard de rester benoîtement devant leur télévision pour assister à une cérémonie du centenaire dont ils n’étaient plus que les spectateurs télévisuels face à des Champs-Élysées déserts et barricadés. Admettons que, dans la mesure où les gouvernants de ce monde n’étaient pas venus à Paris ce dimanche pour en découdre à coups d’obus, la présence de la chair à canon habituelle devenait dès lors inutile voire gênante : qu’aurait-on fait de cette masse émue trimbalant ses lugubres souvenirs de grands-pères décervelés comme autant de pustules dégoûtantes ? C’est aux ordonnateurs des guerres de célébrer entre eux la paix revenue afin de mieux préparer les boucheries de demain : les peuples sauront toujours assez tôt vers quelle caserne se diriger quand la paix célébrée aura enfin accouché d’une bonne guerre savamment conçue par ces messieurs.

Passe donc pour le centenaire, du moins ce centenaire, celui des protocoles internationaux, des limousines blindées et des dîners officiels cascadant de crus bordelais. Osons donc imaginer et j’ose ainsi imaginer un deuxième centenaire, ne craignons pas l’abondance ! Oui, un deuxième centenaire de l’armistice de 1918 qui se déroulerait le 11 novembre 2019, le vrai centenaire, celui des millions de descendants de Poilus comme de combattants imberbes, le centenaire des fosses communes, des jambes de bois, des gueules cassées, le centenaire des villages et des familles mutilées, le centenaire de ceux de Craonne. Avec, ce coup-ci, un vrai défilé militaire car le peuple, sot qu’il est, aiment les grosses machines et les uniformes chamarrés, un vrai défilé de soldats d’aujourd’hui héritiers de ceux d’hier, de toute l’Europe, d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie.

Alors oui, après le centenaire de confinement télévisuel, le peuple célébrera aussi son centenaire de 1918 le 11 novembre 2019 prochain, au grand air, sous la pluie de novembre, sur les Champs-Élysées qui n’ont pas pour unique vocation de n’accueillir le peuple qu’à l’occasion d’une victoire footballistique.

Le Président m’a déjà donné son accord. Il suffit de s’y mettre.

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