Alignement fiscal : la vie après la mort
S’il y a bien un dossier qui intéresse de près le ministre du Dimanche – jour du Seigneur merci de ne pas l’oublier – c’est bien celui de la vie après la mort. Or il apparaît, selon un sondage tout frais mais néanmoins eucharistique, qu’un tiers des Français croit à une forme de vie après la mort.
C’est, après tout, une bonne nouvelle même s’il convient de la tempérer un tantinet : nos compatriotes doivent savoir – la vérité, rien que la vérité – que la vie après la mort comporte quelques désagréments qui doivent demeurer présents à l’esprit. D’abord comprendre que si nous estimons déjà que nous sommes un peu trop nombreux à vivre sur cette terre, l’au-delà est sans conteste autrement plus encombré que la vie d’ici-bas.
En estimant, avec les plus hautes autorités scientifiques que j’ai consultées sans relâche, que près de 108 milliards d’êtres humains sont nés sur cette terre depuis que l’homo est homme et, attendu que nous sommes huit petits milliards à y demeurer présentement tant bien que mal, il nous faut donc constater que, dans l’au-delà, il faudra se fader la promiscuité de quelques cent milliards de pékins dûment décédés, ce qui n’est pas une paille. Et parmi ceux-ci, une quantité non négligeable de barbaresques de tous poils dont la proportion ferait frémir n’importe quel brigadier de police de Seine-Saint-Denis : déjà, je sens un frémissement de recul devant la perspective d’avoir à se frayer un passage au milieu des yourtes et des tipis bondés de bébés basanés morts en bas âge.
Au delà de la très probable hygiène douteuse de ce paradis surpeuplé de misérables catarrheux, une question oppressante se pose dès lors et vous devinez laquelle : quel bilan carbone ? C’est bien gentil d’accueillir au paradis toute la misère du monde mais est-ce bien responsable du point de vue environnemental de maintenir un au-delà où les multiples rivières où coulent le lait et le miel sont devenus d’innommables cloaques infestés de vermine ? Et si le feu divin est une source inépuisable d’énergie, ce dont on peut féliciter l’ingénieux Créateur, il faut chaque jour toujours plus de ce feu divin pour chauffer, nourrir et entretenir ce gigantesque capharnaüm. Car, ne nous leurrons pas, ici pas question d’une bonne guerre ou d’une belle épidémie pour résoudre une démographie galopante : la vie après la mort est éternelle, avec ou sans kalachnikov.
Laissera-t-on faire ? Laissera-t-on longtemps encore se dégrader les conditions de vie éternelle de nos seniors et cancéreux chéris ? Je ne puis m’y résoudre et m’attelle sans délai à ce chantier de première importance pour la cohésion sociale et pour maintenir vivace ce bel idéal d’une vie après la mort, digne et propre.
Dieu n’osera jamais le dire tant il est fier et je le dirais donc à sa place : le paradis manque cruellement de moyens. Depuis l’origine de l’humanité – ne soyez pas incrédules – pas un impôt, pas la plus infime taxe n’a été introduite en faveur de l’au-delà. Des annonces, oui sans doute, ont été faites dans le passé, quelques indulgences complaisamment vendues mais l’argent récolté fut lamentablement dilapidé dans des palais romains, alcazars et courtisanes lubriques.
Il devient donc indispensable aujourd’hui de procurer à l’au-delà de nos morts un financement pérenne et conforme aux exigences que chacun de nous peut attendre d’un paradis digne de ce nom. Et si nous sommes capables de procéder à l’alignement de la fiscalité de l’essence et du diesel, nous devrions vite aboutir, dans un consensus que rien ne saurait altérer, à l’alignement de la fiscalité terrestre avec celle de l’au-delà. Nous cotisons pour nos retraites, il est naturel que nous cotisions pour notre vie après la retraite. Cet impôt devra s’établir sur des bases de justice sociale tout en sachant que son produit sera librement géré par les autorités paradisiaques.
Certains détails techniques restent encore en suspens, notamment la méthode de transfert des nouvelles cotisations vers l’au-delà, lequel ne semble pas – nos informations ne sont pas claires à ce sujet – disposer du moindre système bancaire. Une commission paritaire devra remédier à ces menues difficultés qui n’entameront pas, soyons en persuadés, la détermination du gouvernement.
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