Je suis ministre !

Je suis ministre !

Tout est parti d’un constat accablant : Il m’est arrivé un jour, comme à chacun d’entre vous je suppose, d’éprouver le besoin urgent de l’intervention d’un ministre pour une affaire dont je ne trahirais pas ici la confidentialité. C’était un dimanche et c’est bien un jour de la semaine où ce genre de situation délicate – je n’en dis pas plus – peut se présenter. J’appelle le premier des ministres sur ma liste, le deuxième, la troisième, tous bien polis mais qui me répondent en chœur : « Mon pauvre JD ! Je suis à Saint-Malo, à Marseille, à Charleroi, bref partout sauf à Paris ! Je n’ai pas les tampons, pas les plantons, tout est au ministère, il faut attendre lundi ! »

Ainsi, dès le vendredi soir, le gouvernement de la France s’évapore comme une mare au canard en plein Sahara et se retrouve à sec, mais sec de sec, toute la journée du dimanche. Dès lors, comment faire gober au contribuable essoré que, loin des polémiques vaines et des rodomontades ridicules d’une opposition avachie, le Gouvernement est mobilisé à plein temps au service des Français, lesquels, misérables aveugles, sont bien ingrats de ne pas lui en être reconnaissants ? Ce sont, au bas mot, cinquante-deux jours dans l’année – et quels jours ! – qui sont totalement négligés par la présence gouvernementale.

La gravité d’un tel manquement m’apparut alors éblouissante au point que le lundi suivant, soit le lendemain, j’étais dans l’antichambre du président de la République où je patientais quelques six-cent-trente petites minutes avant d’être reçu, ce qui n’a rien d’extravagant au demeurant.

« Que puis-je faire pour vous, mon cher JD ? me demanda notre jeune premier magistrat. »

Je lui narrais ma désastreuse expérience de la veille et lui indiquais sans tarder la solution qui s’imposait :

« Monsieur le Président, vous devez nommer un ministre du dimanche !

— Un ministre ? Pour le dimanche ? Rien que ça ?

— La rue gronde, M. le Président, il faut des signaux forts et déterminés !

— Un secrétaire d’État ferait bien l’affaire…

— Ni secrétaire d’État ni sous-chef de bureau, un ministre pour tout le dimanche en l’absence des quinze autres qui folâtrent dans la luzerne, ça n’est pas bien exagéré ! Un signal fort je vous dis, pour tous les Français qui ne sont pas gouvernés le dimanche ! »

Le président me parut ébranlé par la puissance de mes arguments et me montra la porte avec la bienveillance qu’on lui connaît.

Quelques semaines converties en mois s’égrenèrent quand, souvenons-nous, une regrettable affaire de garde du corps impulsif vint assombrir le ciel jusque là dégagé des sondages d’opinion du chef de l’État. Ni une ni deux, mon téléphone sonne, je m’y attendais, alors que j’étais confortablement installé sur mes chiottes, c’est toujours ainsi que les choses se passent. Un secrétaire général de je ne sais quoi me débite un laïus confus où il est question de sortir du pétrin, de trouver une connerie pour endormir l’opinion, d’envoyer un signal fort et, au final, d’appeler ce con de JD pour lui proposer le Ministère du Dimanche. Je me mis au garde-à-vous et tirais la chasse.

Bien que cette conversation ait eu lieu un vendredi, j’acceptai cependant, pénétré de ce que l’honneur qui m’était fait ne me dissimulait pas la lourdeur écrasante de la charge.

C’est pas plus compliqué que ça.

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