Le Père Noël

Le Père Noël

Mon cabinet s’était assuré que la réunion pouvait se tenir au ministère à quinze heures ce 26 décembre et c’est donc tout vibrant d’émotion mais puissamment déterminé que je me préparai à accueillir le Père Noël en vue d’un premier échange de vues sur le partenariat que le Gouvernement envisage pour contribuer à la résolution des problèmes de nos concitoyens.

Mes services avaient tout préparé jusqu’au plus insignifiant détail ; des canons à neige avaient répandu pendant toute la matinée une bonne épaisseur de poudreuse dans la cour du ministère afin que le traîneau de l’auguste visiteur put se mouvoir confortablement et une étable mobile avait été aménagée à côté des journalistes pour y accueillir les rennes merveilleux de notre hôte.

C’est donc avec une vive surprise teintée d’un réel dépit que, me tenant sur le perron, je vis pénétrer par le porche une limousine blindée qui se rangea pesamment devant les premières marches comme n’importe quelle guimbarde de président américain. Étreint d’un doute comme nous tous, mais devant mon acquiescement, l’huissier ouvrit la portière et je vis alors le visage cordial mais glabre de celui qui devait être le Père Noël sans en avoir adopter la mise convenue : complet gris, cravate bleue, souliers anglais.

Je m’avisais que le protocole avait omis de m’indiquer par quelle formule il convenait de s’adresser au Père Noël dans le cadre des relations internationales et je tâtonnais donc :

« Votre Sainteté, enfin… Monseigneur… mon Père Noël…

— Monsieur le Ministre, je suis enchanté, mais point de formalité avec moi, appelez-moi Charles.

— Ah ? Charles ? Comme ça, direct ?

— Mais bien sûr, je suis un homme sans protocole ! Certains m’appellent Nicolas mais je préfère Charles.

— Alors Charles, puisque Charles il y a, permettez-moi de m’étonner de vous voir dans cet appareil aussi civil qu’austère, vous le Père Noël qui nous avez habitués à des équipages plus chamarrés !

— Mon cher Ministre, vous pensez bien que je ne me trimballe pas quotidiennement dans ce lourd manteau rouge garni de fourrure blanche qui pèse une tonne et dans lequel je transpire plus que dans un sauna ! Même chez moi, en Laponie, personne ne s’habille ainsi, une bonne parka et des snow-boot font très bien l’affaire. Quant au traîneau, il ne fallait pas vous casser la tête avec cette superbe neige, il est reparti tout à l’heure par avion avec les rennes, les russes me prêtent un gros porteur chaque année.

— Et la barbe ? Votre barbe légendaire ?

— Sitôt ma tournée de Noël terminée, je file au Ritz et je la rase ! Vous n’imaginez tout de même pas que je vais me pointer toute l’année dans les palais et ministères du monde entier avec cette tignasse de clochard ! Je la laisse repousser trois mois avant, c’est bien suffisant, je colle un maximum de lotion Franck Provost et ça repousse très vite. »

Fort de cette mise au point, nous abordâmes l’ordre du jour de notre réunion. Confronté au formidable dilemme d’avoir à satisfaire la gourmandise insatiable des Français sans disposer pour cela d’un traître liard dans les caisses, Le Gouvernement a très logiquement envisagé de nouer un partenariat avec le Père Noël qui, comme on le sait, distribue des milliers de cadeaux sans dépenser un centime tout en recevant cependant la gratitude éternelle et illimitée de tous les enfants qui le couvrent de lettres enthousiastes et énamourées. Le Père Noël, je veux dire Charles, accepterait-il de procéder à la joyeuse distribution d’un pouvoir d’achat squelettique auprès de nos concitoyens au nom du Gouvernement ?

« Il y a un préalable à la réussite de toute opération de ce genre, répondit le Père Noël. Votre président ou votre premier ministre prononcent-il la formule magique avant toute annonce de pouvoir d’achat.

— La formule magique Charles ? Nous ne la connaissons pas !

— « Ho ho ho ! » Est-ce que vos discours sont précédés de « Ho ho ho ! »

— Nous disons « Françaises, Français » ou « Chers concitoyens » mais pas « Ho ho ho ! »

— C’est une erreur fatale. « Ho ho ho ! » est la formule magique qui me permet de distribuer des cadeaux insignifiants de qualité déplorable et d’un coût prohibitif tout en transportant d’allégresse ceux qui les reçoivent comme ceux qui les paient.

— Et vous pensez donc qu’en entendant « Ho ho ho ! » les Français sauteront de joie à l’annonce des quelques centimes que nous sommes disposés à leur lâcher ?

— J’ai cru comprendre que les Français croyaient encore bien fortement au Père Noël. »

Je crois donc pouvoir annoncer qu’une révision d’ampleur sera prochainement constatée dans la communication des membres du Gouvernement dont les discours et interventions médiatiques commenceront désormais par la formule magique du Père Noël propre à déchaîner des torrents de joie parmi la population misérable de ce pays.

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