Le passeport qui ne passe pas
Le conseiller de l’Élysée Benalla disposait de plusieurs passeports
J’entends les rumeurs immondes et diffamatrices qui tendent à déshonorer l’homme de bien et loyal que je suis : contre tous les usages ancestralement admis, j’userais sans retenue, selon certains plumitifs, de plusieurs passeports du Dimanche pour mes déplacements privés, y compris en semaine. Le Ministre du Dimanche que je suis est tenté de toiser du haut de son beffroi ministériel les jaloux homoncules qui me font un tel procès mais je préfère déconfire ces scélératesses par une explication hautement révélatrice de mes sentiments démocratiques et républicains.
Il entre en effet dans mes attributions de voyager à travers notre riante France ainsi que dans quelques contrées sauvages pour exalter la promotion du dimanche parmi des populations éblouies. Il est évident pour tout observateur politique pertinent que je ne suis en fonction que le dimanche, objet même du mandat qui m’a été confié par notre révéré Président et notre valeureux Premier ministre. Il est non moins évident cependant que chaque dimanche suit le précédent d’une bonne semaine – j’espère que jusque là tous mes détracteurs parviennent à suivre – et qu’il ne s’agit donc pas du même dimanche : c’est la raison pour laquelle je me dois de disposer non pas d’un seul mais de cinquante-deux passeports du Dimanche dont la détention m’a été attribuée par nos services diplomatiques contre la signature de cinquante-deux reçus en trois exemplaires. Passée la première foulure au poignet consécutive à ce paraphage industriel, j’ai utilisé successivement les passeports du Dimanche pour mes déplacements.
Aurais-je usé de ces passeports pour des tribulations de nature récréative et privées ? C’est bien mal connaître les écrasantes contraintes d’un ministre, qui plus est du Dimanche, qui reste pénétré de sa charge sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Que les plus malins de ces pestilentiels folliculaires veuillent bien m’indiquer comment je pourrais être aux Bahamas le dimanche 12 octobre à l’occasion du Festival international des T-shirts mouillés de Nassau sans prendre en compte le trajet en avion et le détestable décalage horaire qui m’impose un repos récupérateur d’une journée au bord d’une piscine d’hôtel quand il ne s’agit pas d’un très dérisoire spa.
Comment dois-je agir sans passeport du Dimanche et sans mordre sur les jours de la semaine lorsque je me rends au Tchad, en Centrafrique, au Sénégal, au Gabon et toutes ces colonies où mes fonctions m’appellent pour toutes sortes d’événements tribaux et dominicaux ? Croit-on que le ministre folâtre dans la savane africaine à la chasse au phoque qui a lieu chaque premier dimanche de la troisième lune pour honorer je ne sais quel chef pygmée ? Croit-on que je batifole le samedi soir sur les plages de Libreville au milieu des mousmés que le protocole local m’impose d’ensemencer chacune sur les rythmes endiablés de musiques primitives ? Il s’agit bien là de mes obligations ministérielles et cochon qui s’en dédit.
En France même, j’ai eu à éprouver la lumineuse utilité du passeport du Dimanche quand, lors d’une séance d’un groupe de parole dans la cage d’escalier du bâtiment B à Saint-Denis, alors que les policiers et pompiers quittaient les lieux sous de festifs cocktails Molotov, j’ai pu regagner ma limousine sans encombre en présentant ledit passeport aux différents checkpoints tenus par de jeunes animateurs sympathiques quoique trop portés vers le commerce de substances illicites.
Je l’affirme vigoureusement, je conserverais mes passeports du Dimanche et continuerais à les utiliser pour me rendre sur toutes les plages du monde, à tous les safaris lointains et dans tous les casinos exotiques où mes fonctions gouvernementales me convoquent.
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