Remaniement

Remaniement

Gouvernement Philippe II

Je peux le dire désormais qu’il est derrière nous mais j’ai adoré ce remaniement gouvernemental ! Ce n’est pas rien, pour un Ministre du Dimanche, qu’un remaniement nous occupe deux dimanches de suite, je l’aurais bien fait traîner encore une petite semaine supplémentaire.

Comme vous l’aurez remarqué, je n’ai pas moi-même été remanié et j’ai tenu bon face aux convoitises d’une armée de petits boutonneux aux ambitions pyranhesques : le ministère du Dimanche n’est pas de ceux qu’on remanie par caprice ou convoitise.

Mieux que cela, alors que les décisions présidentialo-primo-ministérielles tardaient à venir, j’ai eu à gérer – je n’en tire qu’une gloriole évanescente – deux dimanches de remaniement, deux très longs dimanches durant lesquels, en l’absence d’un président arménisé et d’un premier ministre qui ramassait les palourdes sur la plage du Havre, mon humble mais lambrissé ministère ne désemplit pas.

Les sortants putatifs y croisaient les présomptifs entrants avec des airs de vouloir s’étrangler mutuellement.

« Alors toi, tu ne bouges pas ? me demanda un secrétaire d’État en grande transpiration.

— Pourquoi veux-tu que je bouge ? Le gouvernement sera annoncé lundi au plus tôt et je suis ministre du Dimanche, ce serait trop tard !

— Et moi, me dit une autre, je pourrais peut-être demander le ministère du Samedi ?

— Comme tu y vas ! Le samedi, on fait les courses pas les ministères ! »

Je ne cacherais pas que le président s’est assuré de ma présence à mon poste en m’envoyant moult SMS humoristiques et en me conseillant de garder tout ce monde au chaud dans mon antichambre. Ce que je fis avec le sens du devoir que l’on me connaît, n’hésitant pas à enfermer Castaner dans les toilettes car il était fort agité et troublait la petite partie de Scrabble improvisée entre les anciens et futurs secrétaires d’État.

Mon ministère est installé dans un petit mais coquet hôtel particulier ayant appartenu à la Belle Époque à une cocotte grassement entretenue par plusieurs présidents du conseil successifs. La décoration lascive des plafonds s’en ressent toujours et cette lointaine parenté avec un lupanar républicain débordant de seins plantureux et de fessiers rougeoyants est propice à la franche convivialité voire aux débordements festifs. Les plus déprimés de mes hôtes reprirent quelques couleurs et je vis même s’esquisser un improbable sourire sur le visage condamné de Françoise Nyssen qui s’occupait tant bien que mal en compulsant nerveusement des devis de je ne sais quelle construction clandestine. Mon maître d’hôtel eut l’heureuse présence d’esprit de faire couler bière et Champomy pour définitivement évacuer les mines chagrines et inquiètes.

Le ministre de l’agriculture me demanda l’autorisation de s’asseoir un moment à mon bureau : « Vous comprenez, à mon âge, c’est fini, je suis cuit, et je ne pourrais plus m’asseoir à un bureau de ministre. J’aimerais encore y goûter avant de tirer ma révérence. » Je n’avais rien à lui refuser et il se laissa tomber dans mon fauteuil tout en le faisant pivoter vers la fenêtre qui donnait sur un minuscule parc. Il fut le premier à partir dans l’attitude de Napoléon après l’abdication de Fontainebleau, impérial et solitaire. Grand.

Castaner était parvenu à défoncer la porte des toilettes mieux qu’un Mélenchon qui veut rentrer chez lui et semblait rassuré après une conversation téléphonique qu’il venait d’avoir dans les chiottes. « C’est bon, me dit-il en clignant de l’œil, j’ai ce que je veux et toi tu restes où tu es. » Il fila sans dire un mot à ses collègues rongés d’anxiété.

Le soir était venu et j’annonçais aux retardataires la fermeture du ministère jusqu’au dimanche suivant. « Pourrais-je revenir dimanche prochain ? me pria un sous-ministre dépité.

— Venez prendre le café avec plaisir. Mais n’en prenez pas l’habitude.

— Je sais, je sais. »

Puis je quittais le ministère en réclamant la clé à Jean-Vincent Placé qui me l’avait subtilisée et qui s’était terré derrière la magistrale statue d’une odalisque.

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